The RealReal est une entreprise américaine spécialisée dans la revente d’articles de luxe de seconde main en ligne. Elle est devenue tristement célèbre en 2019 lorsqu'un journaliste a commandé un faux sac Dior à 3500 € sur The RealReal. Voici la folle histoire de ce sac.
Lors de son entrée en bourse, The RealReal a dû remettre des documents très contraignants aux autorités américaines, dans lesquels sont décrits les aspects clés de son activité. Bien entendu, la question de l’authenticité tient un rôle majeur. On a trouvé le passage suivant : “Nous (The RealReal) établissons une relation de confiance avec nos clients grâce à nos experts qui authentifient chaque article vendu sur le site. Chaque article est soumis à un processus d’authentification rigoureux et en plusieurs étapes, par nos experts hautement qualifiés dans le domaine des pierres précieuses, de l’horlogerie, des marques, ou encore de l’art”.
Cependant, des voix internes à l’entreprise ainsi qu’une enquête menée par une organisation de protection des consommateurs The Capitol Forum rapportent que les procédures d’authentification de The RealReal sont bien moins rigoureuses qu’annoncées. En effet, les soit-disants “experts” en marques de luxe de The RealReal seraient bien souvent de simples employés du département marketing, qui authentifient les articles, en plus de leur occupation habituelle. Leur formation dans le domaine de l’expertise du luxe ne durerait que 5 minutes (une simple présentation de photos d’articles authentiques, pour voir “à quoi ça ressemble”). Un ancien employé témoigne : “ils m’ont fait authentifier des écharpes Hermès, alors que je n’en avais clairement pas les compétences. Mais cela leur importe peu, ce qu’ils veulent c’est que les articles soient affichés sur la plateforme d’e-commerce le plus rapidement possible”. Le rythme était parfois très élevé, “jusqu’à 120 produits à certifier par jour”. Avant de conclure : “en plus de ces conditions de travail difficiles, le salaire était très faible. Si bien que la plupart des employés participant à l’authentification des produits savaient qu’ils ne resteraient pas longtemps dans l’entreprise et ainsi n’effectuaient pas leur travail rigoureusement”.
Invité à répondre à cette enquête, The RealReal a reconnu que “les articles à faible risque sont authentifiés par des employés du marketing, tandis que les articles à haut risque, eux, sont réservés au jugement d’experts hautement qualifiés”. Avant d’ajouter que “les employés du marketing participant au processus d’authentification ne sont pas formés sur tout, mais on leur donne des guides explicatifs auxquels ils peuvent se référer à tout moment. Les employés peuvent aussi prendre tout le temps qu’ils veulent s’ils ont des doutes lors de l’authentification d’un article”.
Le faux sac Dior à 3500 €
Voulant vérifier les doutes révélés par l'enquête ci-dessus quant à la procédure de certification de The RealReal, le journaliste Richard Kestenbaum a commandé un sac Christian Dior sur la plateforme, afin d’en vérifier l’authenticité. Le sac en question s’appelle “Toile de Jouy Dior Book Tote” en anglais, et était vendu à la modique somme de 3500 €. Il l’a immédiatement certifié par un expert, qui a relevé les incohérences suivantes :
- Les motifs de chevrons au milieu du sac ne correspondent pas à ceux d’un sac authentique:
- La poignée du sac acheté sur The RealReal est plus courte que celle d’un vrai sac :
- La lettre “A” dans le nom Christian Dior a un plus petit triangle central que sur le vrai sac :
- Dans l’image du singe, la tête du singe est moins détaillée que sur le vrai sac :
- Les coutures de l’image du lion ne correspondent pas à celles du vrai sac :
- Les coutures de l’image du grand arbre sont bien moins détaillées que sur le vrai sac :
Le sac Dior vendu par The RealReal est donc une contrefaçon.
La réponse de The RealReal et les conséquences sur la mode circulaire
Richard Kestenbaum a présenté toutes ces preuves à The RealReal, qui lui a demandé de leur retourner le sac. Leur réponse est surprenante : “Nous avons ré-examiné le sac, et nous ne sommes pas capables de confirmer totalement son authenticité … L’authentification de produits est extrêmement complexe. C’est à la fois un art et une science”. Avant de conclure : “The RealReal a une tolérance zéro pour les contrefaçons. Nous aidons les marques et les agences gouvernementales à traquer les fabricants de contrefaçons, en leur partageant le contact des vendeurs nous ayant envoyé des produits contrefaits”. A l’heure actuelle, nous ne savons pas si le journaliste a été remboursé des 3500 € dépensés pour ce faux sac Dior.
Cette histoire de faux sac de luxe a fait grand bruit sur internet (plus de 15000 lectures par mois). En effet, c’est un problème majeur qui vient remettre en cause le concept même d’une plateforme de revente d’articles de luxe d’occasion comme The RealReal. Comment est-il possible qu’un sac à ce prix (3500 €) et d’une marque aussi connue que Christian Dior ait pu passer à travers la procédure de certification de The RealReal. Qu’en est-il des articles d’autres marques moins connues ?
Si The RealReal et les autres enseignes de la mode de luxe circulaire comme Vestiaire Collective préfèrent économiser en utilisant des employés du marketing plutôt que de véritables experts expérimentés pour certifier leur produits, alors leur business est en péril. En effet, ils finiront par perdre la confiance des consommateurs.
Une meilleure solution serait que les marques de luxe elles-mêmes participent à la mode circulaire, en proposant le rachat puis la revente de leurs propres articles d’occasion. En effet, qui mieux que Christian Dior peut expertiser un sac Christian Dior ? Depuis le début de l’année 2022, les marques de luxe ont l’interdiction de détruire leur invendus. Espérons que cela marque un tournant pour un luxe plus respectueux de l’environnement, et que les magasins arrêteront de vendre uniquement du neuf. Les motivations sont malheureusement souvent de basses raisons économiques et de préservation de l’image de marque.