Qui est habilité à déterminer ce qui est réellement respectueux de l'environnement et ce qui est simplement commercialisé comme tel (greenwashing) ? Est-il positif que de plus en plus de célébrités et de stars de la télé-réalité choisissent de porter des vêtements de seconde main ? Dans quelle mesure les gouvernements doivent-ils intervenir dans les questions de durabilité ? Quelles sont les protections mises en place pour les travailleurs de l'industrie du vêtement ?
Ce ne sont là que quelques-uns des sujets qui ont suscité un débat important en 2022, sur la manière dont l'industrie de la mode peut minimiser son impact sur l'environnement et protéger les centaines de milliers de travailleurs des pays en développement.
À l'horizon 2023, on observe une hausse des coûts de l'énergie en Europe, des perturbations de la chaîne d'approvisionnement mondiale et une augmentation du coût de la vie dans de nombreuses régions. Ces problèmes devraient créer des difficultés pour une industrie confrontée à la pression des consommateurs et des régulateurs, qui devra donc trouver rapidement des solutions efficaces.
Voici quelques-uns des événements les plus marquants dans le domaine de la mode responsable en 2022.
1) Shein continue de dominer la Fast-Fashion
Nombreux sont ceux qui ne savent pas comment prononcer correctement Shein (c'est "she-in"), le géant chinois de la fast-fashion. Cependant, il est probable qu'ils en aient déjà entendu parler, qu'ils aient acheté ses vêtements ou même choisi de le boycotter.
Shein a fait l'objet d'une grande attention médiatique en 2022, en raison d'enquêtes sur des violations du droit du travail et d'accusations de niveaux élevés de plomb dans certains de ses produits. Lors du Sommet de la mode de Copenhague en juin, Shein a promis 15 millions de dollars sur trois ans à la Fondation Or. C'est une organisation caritative qui opère à Kantamanto, le plus grand marché de vêtements de seconde main du monde, situé à Accra, au Ghana. Cette promesse a donné lieu à des accusations d'écoblanchiment, car l'entreprise a continué à réaliser des bénéfices importants en vendant des vêtements extrêmement bon marché.
Il est difficile de déterminer l'impact de ces rapports négatifs sur l'entreprise. Selon une étude menée par Money.co.uk et publiée en décembre, Shein était la marque de mode la plus populaire au monde cette année. Après avoir analysé les données d'une année de recherche sur Google, Shein s'est classée première en tant que marque la plus recherchée dans 113 pays, dépassant Zara.
2) Le créateur de Patagonia a légué son entreprise, pour aider à lutter contre le changement climatique
Patagonia, un détaillant de vêtements de plein air, s'est imposé comme un leader dans la lutte contre le changement climatique, reversant 1 % de ses ventes à des causes environnementales depuis 1985. Cette année, le fondateur de l'entreprise, Yvon Chouinard, a même pris une mesure audacieuse : il a fait don de l'entreprise.
Chouinard, sa femme et ses enfants ont légué Patagonia à une organisation à but non lucratif. Cela garantit que tous les bénéfices de l'entreprise, soit environ 100 millions de dollars par an, soient utilisés pour soutenir les efforts de durabilité environnementale dans le monde entier. Selon Bloomberg, cette opération permettra également à la famille Chouinard d'éviter une charge fiscale importante et pourrait servir d'exemple à d'autres dynasties riches de la mode.
3) Les stars ont changé leur habitudes sur le tapis rouge
En 2022, il est devenu évident que pour que l'industrie de la mode diminue son impact environnemental, davantage de marques devront intégrer des services de réparation, de revente et de location dans leurs modèles économiques. Alimentée par la popularité croissante de la location de vêtements, qui a déjà été adoptée par les influenceurs, certaines célébrités très en vue ont également commencé à louer de la haute couture pour les événements sur tapis rouge. L'exemple le plus notable cette année s'est produit lorsque la princesse de Galles a porté une robe décolletée vert Kermit d'Emilia Wickstead, lors de la cérémonie de remise des prix Earthshot à Boston. Elle a loué cette robe pour 74 £, soit environ 90 €, sur le site britannique Hurr.
4) Comment mesurer la durabilité des marques ?
La Sustainable Apparel Coalition, un puissant groupe commercial axé sur la durabilité dans l'industrie de la mode, a mis au point des outils connus sous le nom d'indice Higg. Ces outils sont utilisés par des entreprises comme Walmart, Nike et H&M Group, et étaient largement considérés comme la norme de facto du secteur pour mesurer l'impact environnemental et social.
Les régulateurs norvégiens ont annoncé ce printemps que les données de Higg n'étaient pas suffisantes pour étayer les accusations de marketing environnemental. Une enquête de Quartz a révélé que les scores environnementaux de H&M étaient "trompeurs" et "carrément mensongers". En outre, un article du New York Times a indiqué que l'indice favorisait de manière significative les matériaux synthétiques fabriqués à partir de combustibles fossiles, par rapport aux matériaux naturels tels que le coton ou le cuir.
En raison d'autres controverses, telles que l'audit frauduleux du coton biologique en Inde, le débat sur la manière dont la mode peut établir une méthode normalisée pour mesurer et vérifier les déclarations de durabilité faites par les entreprises s'intensifie, sans qu'aucune solution claire ne soit en vue.
5) De nouvelles lois pour rendre l'industrie de la mode plus écoresponsable
En 2022, de nombreux gouvernements se sont rendus compte que les entreprises ne font pas suffisamment de progrès dans la lutte contre le changement climatique. Que ce soit au niveau du rythme ou de l'échelle nécessaires. En janvier, les organisateurs de la loi sur la mode ont présenté un projet de loi (le NY Fashion Act) qui, s'il est approuvé, fera de New York le premier État des États-Unis à adopter une vaste réglementation en matière de durabilité.
En mai, la sénatrice Kirsten Gillibrand a présenté la loi fédérale FABRIC, qui vise à offrir de meilleures protections aux travailleurs américains de la mode et à créer des incitations à une fabrication plus locale. En novembre, la Commission européenne a proposé de nouvelles réglementations visant à réduire les déchets d'emballage, qui auraient un impact sur des articles tels que les flacons de parfum et les emballages du e-commerce.
Si le renforcement de la surveillance gouvernementale peut être un processus lent et complexe, les efforts en cours ont encouragé les défenseurs du climat.
6) Des liens plus sains entre la Fast Fashion et la télé-réalité
Le lien entre les émissions de télé-réalité et les marques de mode rapide telles que Fashion Nova, Shein et Boohoo est bien connu. Cependant, en mai, "Love Island", la populaire émission de télé-réalité britannique, dont de nombreux candidats sont devenus des influenceurs, a annoncé qu'eBay UK était son nouveau sponsor.
Pendant plusieurs années, les candidats de "Love Island" ont porté des vêtements de la marque de fast-fashion I Saw It First, qui vend des articles à partir de 3 dollars. Cependant, au cours de cette saison, les candidats ont porté des vêtements et des accessoires d'occasion pour encourager le shopping responsable.
En septembre, les critiques ont fusé sur Internet lorsque Kourtney Kardashian Barker a été annoncée comme la dernière collaboratrice et ambassadrice du développement durable de Boohoo. Cependant, dans l'ensemble, il semble que l'on examine de plus en plus la manière dont la télé-réalité et la fast-fashion promeuvent toutes deux un faux sentiment d'égalitarisme, ou l'idée que les gens ordinaires peuvent atteindre des styles de vie trop ambitieux.
7) De nouveaux matériaux et procédés industriels
L'industrie de la mode est toujours fortement dépendante des tissus et des matériaux dérivés des combustibles fossiles. Un rapport publié en décembre par le groupe de lobbying environnemental Changing Markets Foundation a révélé que les marques continuent de dissimuler leur dépendance à l'égard des matériaux synthétiques, sous prétexte d'accroître leur engagement en faveur des matériaux durables.
Malgré cela, si les mesures concrètes sont plus importantes que l'innovation pour assurer un véritable changement, plusieurs innovations susceptibles de transformer certains processus de fabrication de la mode ont retenu notre attention cette année. Renewcell, une nouvelle usine de recyclage de textiles en Suède, a annoncé qu'elle avait atteint sa pleine capacité de production après avoir signé des accords avec des marques telles que H&M et Zara. L'usine crée un matériau, appelé Circulose, à partir de déchets de coton.
Stella McCartney a investi dans Mylo, un matériau à base de mycélium produit par Bolt Threads, dans le cadre d'un consortium 2020 comprenant Kering, Adidas et Lululemon. Elle a aussi lancé une nouvelle entreprise avec Protein Evolution qui transformera les restes de nylon et de polyesters mélangés, en de nouveaux matériaux pour les vêtements. En outre, des textiles innovants tels que le tissu d'algues, le cuir de champignon et la soie de pois ont gagné en popularité, de même que Spinnova, une fibre naturelle qui est compostable, recyclable et fabriquée sans eau ni produits chimiques dangereux.
8) La révolte des travailleurs du textile
Les marques de mode sont rarement propriétaires des usines qui produisent leurs vêtements. La majorité des commandes de vêtements et de chaussures sont sous-traitées à des fournisseurs des marchés émergents, où les frais généraux sont faibles et le prix de la main-d'œuvre encore plus bas. En 2022, des centaines de milliers de travailleurs de l'habillement, qui font tourner le commerce mondial des vêtements, ont manifesté pour protester contre les salaires et les conditions de travail, l'inflation et les annulations de commandes ayant eu des répercussions négatives. En Haïti, en Thaïlande, au Myanmar, au Bangladesh et au Pakistan, beaucoup ont utilisé les médias sociaux pour attirer l'attention sur leur cause.
L'annonce, en décembre, que les ouvriers des usines du Pakistan seront désormais protégés par l'Accord international, un accord juridiquement contraignant en matière de santé et de sécurité, a constitué une avancée significative. Toutefois, l'indignation suscitée au début de la Coupe du monde par les mauvais traitements infligés à des milliers de travailleurs produisant des maillots de football pour Adidas et Nike a rappelé qu'il reste encore beaucoup à faire.